Séminaire CEDEP 2008 à BARI (Italie)
Les politiques à objectif sécuritaire à court terme dites de « tolérance zéro » —avec une pénalisation massive et le mirage d’une société à risque zéro— fleurissent en Europe. La liberté proclamée par celles-ci correspond à un libéralisme sans liberté de choix, un conservatisme mercantile et une responsabilité rabattue strictement à l’individu et dédouanant le politique et les conditions socio-économiques. La défense sociale reprend de l’ampleur. La peine de mort abolie, la psychiatrie « ordinaire » récusant l’internement à vie, il reste la rétention à vie dans une alliance justice – psychiatrie rénovée par la dangerosité, la gestion du risque, la perspective d’une société post-disciplinaire. Certaines catégories de criminels sont dans le langage politique des malades … à éradiquer ; quant aux « malades mentaux » ils redeviendraient fâcheusement des délinquants et des criminels à marquer de nouveau du sceau d’un sérieux contrôle médicosocial et de l’enfermement (y compris le traitement communautaire obligatoire) ; les SDF aussi. Retour du côté des « classes dangereuses » ? Remake du grand renfermement ? Faillite des dispositifs de l’Etat social et de la « révolution psychiatrique » ? Ou simplement société post-disciplinaire ?
Citons —plutôt longuement— en guise de base radicale commune à notre réflexion :
« Mais en mettant de plus en plus en avant, non seulement le criminel comme sujet de l’acte, mais aussi l’individu dangereux comme virtualité d’actes est-ce qu’on ne donne pas à la société des droits sur l’individu à partir de ce qu’il est (….) par nature, selon sa constitution , selon ses traits caractériels ou ses variables pathologiques(…) peut-être pressent –on ce qu’il y aurait de redoutable à autoriser le droit à intervenir sur les individus en raison de ce qu’ils sont : une terrible société pourrait sortir de là »
(Michel Foucault, L’évolution de la notion d’« individu dangereux » dans la psychiatrie légale, Déviance et Société 1981 ; 5, 4 : 403-422, cité par Bruno Gravier in Comment évaluer la dangerosité dans le cadre de l’expertise psychiatrique et quelles sont les difficultés et les pièges de cette évaluation ?).
Le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques, mais à un système dans lequel les hommes sont superflus
Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme
« Le vieux fascisme si actuel et puissant qu’il soit dans beaucoup de pays, n’est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d’autres fascismes. Tout un néo-fascisme s’installe par rapport auquel l’ancien fascisme fait figure de folklore (….). Au lieu d’être une politique et une économie de guerre, le néo-fascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une « paix » non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de micro-fascistes, chargés d’étouffer chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma. »
Gilles Deleuze, février 1977, Deux régimes de fous – Textes et entretiens 1975 – 1995, Les éditions de Minuit, 2003.
Après des décennies de transformations du traitement de la folie et de la représentation du malade mental, nous assistons incontestablement à une troublante cohabitation constituant les habits neufs de la psychiatrie. La dangerosité en devient la frontière de « discrimination positive ». Le biopouvoir psychiatrique y retrouve sa collaboration historique aux politiques sécuritaires après son grand écart avec les droits de l’homme. Il y a le « medical revival » de la psychiatrie en phase avec le scientisme et un ordre moral sanitaire (la santé publique comme police sanitaire nostalgique de la prohibition américaine des débuts du XXe siècle) autant qu’avec la marchandisation de la santé. Il y a cette expansion expertale, cette ambition savante prédictive, cette prétention à évaluer et à solutionner qui s’emboitent à la démagogie victimaire et à la folie répressive de la société actuelle.
Il y a aussi le réel de la folie, de la violence, des « troubles du comportement » comme signes de pathologie individuelle, mais aussi d’une histoire singulière, de la souffrance sociale, de la rupture excluante autant que de la révolte contre la précarité et l’exclusion, de la dangerosité aussi, du soin enfin (y compris de l’obligation de soin).
Claude Louzoun